Qui a un ado dans son entourage ne peut être qu’épouvanté par sa façon de se nourrir. Rien de ce qu’il consomme n’est diététique et il accumule joyeusement des pizzas, des hamburgers, des barres chocolatées, des frites. Il pioche le fromage dans le frigo, s’abreuve de boissons pétillantes qui titrent leurs vingt grammes de sucre par gorgée, cale ses petits creux à coups de pains au chocolat et, s’offusquant des remarques, vous démontre qu’il mange bien des vitamines et des fruits frais, la preuve, il en est à sa quatrième banane. Alerte rouge ! Nous fabriquons une société de petits obèses.

 

Les enfants et les adolescents ont bon appétit. «C’est une bonne maladie», disaient les grands-mères de naguère, ravies, quand leurs petits-enfants repiochaient au plat. Il faut dire que pendant des siècles, la majorité des Français a vu se succéder famines, disettes, sous-alimentation.
On était maigre. Bien manger permettait de tenir le coup, de se renforcer contre les maladies,
de travailler davantage, bref, d’avoir une vigueur de bon aloi. Même quand on ne traversait pas de sévères périodes de manque à manger, l’alimentation était très différente d’aujourd’hui.
Les diététiciens pensent qu’elle était plus saine. Bref, il n’y avait guère de gros, sauf accident génétique ou suralimentation des classes aisées à qui leur richesse permettait de s’empiffrer.
Les temps ont changé. On a cru, naïvement, que, depuis une cinquantaine d’années (depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale) on mangeait mieux. Erreur. On mangeait plus. On mangeait différent. Aujourd’hui, on fait machine arrière et on se rend compte que le mal est fait.
La suralimentation, la mauvaise alimentation, les habitudes pernicieuses se sont enkystées.
Moralité : là où il n’y avait que 5 % d’obèses il y a vingt ans encore, il y en a maintenant de 10 à 25 % selon les régions. Et malheureusement, les jeunes sont particulièrement touchés par le phénomène.

 

Une alimentation douce, grasse, sucrée

Des enfants et des adolescents obèses, il y en a 8 à 10 % en France. On peut difficilement imaginer le supplice que constitue pour eux leur surpoids. Les regards navrés des parents minces comme un fil, les camarades de classe apitoyés, dans le meilleur des cas, ou ironiques, voire carrément méchants avec leurs «Bouboule», leur «L’éléphant» et «ce boudin»… Le médecin qui glisse, l’air gêné : «il faudra penser à faire un petit régime». Plus encore, l’impossibilité pour ces jeunes de se dévoiler à la plage et à la piscine, la lourdeur pataude qui les ridiculise lors des heures de sport, voire leur en interdit quasiment la pratique. L’horreur des miroirs, le plaisir du flirt et de la séduction à oublier… La tentations et les interdictions humiliantes lors des repas : «non, n’en reprends pas, j’ai peur que ça ne soit pas bon pour toi» (version gentille) ou «c’est bon mais t’en auras pas, tu tiens encore prendre des kilos ? Tu n’es pas assez hippopotamesque comme ça ?» (version rosse). Les aberrations de la publicité télé qui, lors des émissions pour la jeunesse, cible avec les produits les plus malfaisants qui soient : les desserts et yaourts sucrés, les glaces, les confiseries, les boissons et sodas à sucres rajoutés et surajoutés, les plats panés (graisse imbibée dans la panure). Pas un instant de répit : l’enfant gros est traqué partout. Que lui reste-t-il ? La solitude et l’enfermement maussade ou triste dans sa chambre, ou la jovialité forcée du bon gros qui paie d’humiliations minuscules et continues son admission dans le groupe.

En quarante ans, l’alimentation de base des Français a considérablement changé. Elle est devenue plus grasse, pour commencer: au début du siècle, la graisse entrait pour 25 % dans la ration alimentaire; aujourd’hui pour 45 %. Beurre et huile, fritures, charcuteries, préparations à la crème fraîche, tout cela est clairement identifié. Ce qui l’est peut-être moins, c’est la présence des graisses cachées dans le fromage, qu’on engloutit en France avec frénésie, dans la viande et la charcuterie, dont la consommation croît régulièrement depuis un siècle. Les préparations, cela n’a l’air de rien, se sont attendries. Eh oui. On ne mastique plus pendant de longs mâchonnements le pain compact, la viande ferme, les légumes qui n’étaient pas primeurs. On vous fait des mousses, des purées, des coulis, des crèmes, des hachis. Ça s’engloutit vite, facilement. On est moins vite calé, donc on en prend plus. Peut-être aussi parce que c’est bon : même la gastronomie n’arrête pas de faire des progrès.

La nourriture de notre fin de siècle, c’est la nourriture de la facilité. Elle est bonne, le gras et le sucré sont universellement connus comme agréables au goût (c’est le gras qui transporte les arômes parfumés dans une préparation), elle se consomme sans même avoir à mâcher, sans qu’on y réfléchisse, presque machinalement, et en plus, dans de nombreux cas, elle n’est pas chère.

Donc les jeunes ont tâté depuis leur prime enfance de cette nourriture qui leur plaît, il faut bien le dire, mais qui fait aussi le plus grand mal à leur silhouette. Bien sûr, il faut tenir compte des facteurs génétiques, responsables du surpoids des ados dans 10 à 30 % des cas (les spécialistes n’arrivent pas toujours à accorder leurs violons côté statistiques). Non seulement notre genre de vie s’est modifié, mais nous ne sommes pas égaux devant les calories : tout le monde ne brûle pas son «carburant alimentaire» à la même vitesse.

N’empêche, non seulement les cas d’obésité chez les jeunes ont doublé en vingt ans, mais ils sont également plus graves. On se trouve ainsi devant des cas d’obésité massive naguère exceptionnels. Le prix de cette maladie sera lourd à payer non seulement côté esthétique, mais par l’augmentation, évidemment, des risques de maladies cardiovasculaires, de diabète et d’hypertension.

 


> Des chiffres

– On parle d’obésité massive chez les jeunes quand le poids atteint 122 kg pour des garçons de 1,75 m et 106 kg pour des filles de 1,63 m.
– 17 % des jeunes Américains sont considérés comme obèses. Cet effrayant pourcentage a doublé en cinq ans.
– 14 % des jeunes Japonais sont en surpoids, environ 20 % des jeunes Allemands.
– En France, 15 % des enfants trahissent une courbe de poids exagérée, ce chiffre est en constante augmentation.


 

Des modes de vie radicalement différents

Comment lutter contre le mal ? Il faudrait pouvoir faire table rase des changements qui ont touché notre société depuis vingt ans. Le faisceau de causes est varié, mais toutes comptent, d’une façon ou d’une autre. Les femmes qui travaillent de plus en plus n’ont guère envie de s’enquiquiner avec des courses à faire, des menus à établir, des repas à préparer, des marmites à récurer. Dans beaucoup de cas, ce sera le recours au traiteur et à la pizza à domicile.
Conséquence : une nourriture beaucoup plus grasse que chez soi (Sachons tout de même ne pas forcément militer pour le retour des femmes aux cuisines !).

La télévision : on l’accable de tous les maux. On n’a pas forcément tort. Outre les publicités qui incitent au fil d’innombrables pubs dont les enfants sont la cible à des nourritures trop riches, l’enfant vautré devant la télé se fait du lard, tout simplement. Devant l’ordinateur aussi, probablement. Mais devant l’ordinateur, il est obligé de se tenir assis, bien droit. Il fait au moins bouger ses mains, voire son cerveau. Ces efforts n’ont pas forcément lieu devant la télé, qu’on peut aussi bien regarder couché.

Déficit d’énergie pour cause de télé : environ 30 calories par jour. Faites le calcul : 2 kg par an. 20 kg en dix ans. Tout ça pour des programmes dont certains sont totalement débiles… Évidemment, le manque d’exercice vient en corollaire du paragraphe précédent. Et les kilos de la sédentarité sont difficiles à déloger quand le mal est fait. Moins de marche, moins de vélo, peut-être même moins de danse endiablée du samedi soir que leurs parents. Pour certains jeunes, le seul exercice physique consiste à ouvrir la porte du frigo. out est toujours tellement disponible et toujours prêt, à l’intérieur. Ajoutons enfin, dans ce schéma classique, les familles éclatées ou déstructurées, les parents travaillent tard ou ont des horaires décalés, tout cela joue aussi son rôle dans ce tableau. Des jeunes livrés à eux-mêmes mangent n’importe quoi à n’importe quelle heure et sont passés maîtres dans l’art du grignotage.

Enfin, et c’est un point important, les problèmes psychologiques ne peuvent pas être ignorés. L’adolescence est une période d’équilibre instable. Un rien suffit à perturber le mécanisme, en particulier celui qui gère le poids. Des difficultés familiales, une peine de cœur ? Trois kilos.
Une mauvaise note ? Un kilo. Le petit chat de la famille qui passe sous une voiture ? Encore deux kilos. Et ainsi de suite, la machine s’emballe. La somatisation du problème a agi sans qu’il y ait forcément suralimentation. Jusqu’au jour où le jeune «n’en a plus rien à faire» d’être gros et s’achève aux barres chocolatées qu’il fait passer par du soda, consommant ainsi son désespoir.

 

Des solutions ?

Si le tableau est effrayant de cette jeunesse guettée à la fois par l’alourdissement de sa silhouette, les maladies cardiovasculaire et le désespoir de n’être jamais séduisant, il reste qu’on peut agir. Surtout préventivement, car un enfant trop gros peut s’en tirer si on agit rapidement mais de manière récurrente. On aura compris qu’il faut être vigilant sur la nourriture, c’est vraiment la base de tout, sans pour autant s’obséder sur un régime, frustrant et pas toujours équilibré s’il est sauvage, souvent même pernicieux pour les enfants et les jeunes. Ne rajoutez pas de sucre dans les jus de fruits, dans les préparations, dans le lait du biberon. Le sucre, c’est comme une drogue : pour continuer à en sentir le goût, il faut augmenter les doses. Mieux vaut donc ne jamais commencer. Le sucre reste l’ennemi numéro un. Pas de bonbons ou de chocolat quand on fait les courses. Eh oui, il faut aussi résister à la tentation de faire plaisir à ses petits. Mieux vaut cuisiner un gâteau pas trop sucré. Pas de confiserie pour consoler d’un gros chagrin. Un câlin vaut bien mieux. Pas de bonbon pour s’endormir (en plus vous préserverez son capital dents). Traquez aussi, même si c’est plus difficile, les graisses inutiles. Une noisette de beurre au lieu d’une noix. Moins de viande. Fritures exceptionnelles. Tout est une question d’habitude. L’enfant qui n’a pas été éduqué à coups de sucreries ou de plats gras est naturellement protégé contre la tentation. Un peu d’exercice ensuite. Aux États-Unis, on appelle «potato couch» (pomme de terre inerte) les jeunes qui grossissent à force d’être vautrés devant la télé, mous comme des méduses échouées, le cerveau léthargique. Beaucoup de jeunes aiment naturellement bouger et s’intéressent au sport. Il faut inciter ceux qui y semblaient indifférents à trouver un exercice à leur goût et à le pratiquer environ 2 à 3 heures par semaine. A ce prix, ils ont déjà de bonnes chances de ne pas faire trop de mauvaise graisse.

Attention : sauf en cas d’obésité grave et suivie par le corps médical, pas de régime pour un jeune ou un enfant. Mais une nourriture, comme le dit l’adage préféré des statisticiens, «saine et équilibrée», ce qui, au passage, signifie aussi un fruit et deux légumes frais au moins par jour. Pas trop de protéines animales (viandes, laitages, desserts lactés), car les jeunes occidentaux en consomment plutôt trop.

Le meilleur des moyens de ne pas avoir un enfant obèse, diabétique, ou chargé de cholestérol avec toutes les complications cardiovasculaires, est de lui apprendre dès l’enfance comment se compose un programme alimentaire équilibré accompagné d’éducation sportive. L’école est aux premières loges pour établir cette éducation. Cependant, quand on sait qu’il y a des distributeurs de boissons et de confiseries dans bien des préaux, on se dit qu’il y a encore bien des efforts à faire.

obesite-enfant-3


Certaines écoles d’un genre spécial, qui ne compte que 25 élèves triés sur le volet. Les jeunes en grave surpoids viennent se rééduquer sous surveillance médicale. Rééducation à l’élaboration de repas sains et bien équilibrés, à l’exercice et au sport, surveillance de ses progrès, comptage des calories. Les jeunes qui viennent ici, et les places sont très demandées, savent qu’on prend en compte non seulement leur physique, mais aussi leur histoire, qui a toujours quelque chose de douloureux, un facteur déclenchant qui les a fait basculer du mauvais côté de l’aiguille de la balance. Ce programme est fait pour les aider. Il demande de la volonté, mais tous ceux qui en sortent sont sur le chemin de la guérison et d’une plus grande estime de soi.

D’autres lieux, rééduquent de la même façon, sans régime stricto sensu, mais en expliquant et en responsabilisant. Un «contrat» est passé avec le personnel soignant pour se donner un objectif. En trois mois, durée moyenne de la cure, les bons plis sont pris et l’amaigrissement est amorcé, parfois de façon spectaculaire.