Les maladies chroniques sont des affections
non transmissibles de longue durée, parfois permanentes, qui évoluent avec le temps. Selon l’OMS, elles sont la première cause de mortalité mondiale et en Europe elles « concourent à près de 86 % des décès (…) et pèsent de plus en plus lourdement sur les systèmes de santé, le développement économique et le bien-être d’une grande partie de la population, en particulier chez les personnes âgées de 50 ans et plus ».
En France, la part des personnes âgées de 60 ans et plus devrait passer d’un quart en 2015 à un tiers de la population en 2040. Actuellement, c’est un français sur quatre qui souffre d’une maladie chronique, trois sur quatre après 65 ans.
Avec l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de personnes âgées atteintes par les pathologies chroniques ne cesse de progresser. Ces maladies entraînent des limitations fonctionnelles ayant des répercussions sur leur qualité de vie.
Le nombre de personnes dépendantes passerait ainsi de 1,2 million en 2012 à 2,3 millions en 2060. Améliorer la prévention et la prise en charge des maladies chroniques c’est donc répondre à une urgence majeure de santé publique.
Selon le rapport de l’OMS de 2010, un large pourcentage des maladies chroniques est accessible à la prévention par des actions sur quatre facteurs de risque principaux : consommation de tabac, inactivité physique, consommation d’alcool et mauvaise alimentation. En France, les estimations actuelles des coûts directs (75 %) et indirects (25%) de l’inactivité physique sont de l’ordre d’1,3 milliard d’euros.
Des actions de prévention peuvent être mises en œuvre en amont des maladies, mais aussi à tout moment de l’évolution de celles-ci. Les maladies chroniques et leurs complications contribuent très fortement à l’état de dépendance ; la prévention de leurs complications et récidives est de ce fait un enjeu central pour le maintien de l’autonomie, notamment chez les personnes âgées.
L’Inserm a été sollicité par le ministère des Sports pour réaliser une expertise collective afin de disposer d’un bilan des connaissances scientifiques et d’analyser, dans le cadre des maladies chroniques, l’impact de l’activité physique et sa place dans le parcours de soin.
Cette expertise s’appuie sur une analyse critique de la littérature scientifique internationale réalisée par un groupe pluridisciplinaire de treize chercheurs experts dans différents domaines relatifs aux pathologies chroniques, à la médecine du sport et à la psychosociologie.
Les principales pathologies qui y sont étudiées sont les pathologies cardiovasculaires, les cancers, le diabète et les pathologies respiratoires chroniques. L’obésité, en tant que déterminant de maladies chroniques et phénomène morbide en soi, y trouve également sa place. Enfin, sont aussi prises en compte certaines maladies mentales (dépression, schizophrénie), ainsi que les troubles musculosquelettiques (TMS) et la multimorbidité.
Trois enjeux majeurs sont associés aux travaux qui sont présentés dans cette expertise.
– Le premier enjeu n’est pas tant de savoir si on doit recommander une pratique régulière d’activité physique adaptée aux personnes atteintes d’une maladie chronique – il n’y a plus aucun doute sur cette nécessité – mais de déterminer les caractéristiques des programmes les plus efficients selon les aptitudes physiques et les ressources psychosociales des patients, dans la perspective d’obtenir un maximum de bénéfices avec un minimum de risques : quand commencer un programme, quelle pratique, quelle intensité, quelle fréquence, dans quel cadre, avec quelle forme d’intervention ?
– Le deuxième enjeu est d’identifier les déterminants de l’adoption d’un comportement actif, pérenne et inséré dans les habitudes de vie. Quel serait l’intérêt d’un programme d’activité physique dont la démonstration d’efficacité a été faite par un essai clinique réalisé dans des conditions idéales, mais qui se révélerait ensuite ni approprié ni adopté par les patients ?
– Le troisième enjeu est de comprendre les mécanismes par lesquels l’activité physique agit de façon générale, en amélioration de la condition physique, mais aussi de façon spécifique selon les pathologies concernées. Une partie importante de l’expertise décrit pathologie par pathologie les bénéfices/risques de l’activité physique, et l’intérêt en prévention, soin complémentaire ou thérapeutique.
1. Prescrire de l’activité physique pour toutes les maladies chroniques étudiées et l’intégrer dans le parcours de soin
Dans de nombreuses pathologies chroniques le repos a longtemps été la règle, mais on assiste aujourd’hui à un véritable changement de paradigme : les études scientifiques montrent que, lorsqu’elle tient compte des recommandations de pratique et des complications liées à la pathologie, non seulement l’activité physique ne l’aggrave pas mais qu’en plus ses effets bénéfiques sont d’autant plus importants qu’elle est introduite tôt après le diagnostic.
Le groupe d’experts considère par conséquent que l’activité physique fait partie intégrante du traitement des maladies chroniques. Il recommande que sa prescription soit systématique et aussi précoce que possible dans le parcours de soin des pathologies étudiées. Il recommande également que l’activité physique soit prescrite avant tout traitement médicamenteux pour la dépression légère à modérée, le diabète de type 2, l’obésité et l’artériopathie oblitérante des membres inférieurs.
Le groupe d’experts a également pu élaborer des recommandations spécifiques par pathologie qui s’accordent cependant sur la fréquence de la pratique d’activité physique adaptée – un minimum de 3 séances par semaine. Voici quelques exemples :
• Obésité : mettre l’accent sur la diminution du tour de taille comme paramètre de suivi plutôt que sur la perte de poids et proposer des programmes d’activité d’endurance.
• Diabète de type 2 : privilégier l’association du renforcement musculaire et des activités d’endurance dans des intensités modérées à fortes.
• Pathologies coronaires : Poursuite d’une activité physique régulière d’endurance à optimiser en jouant sur l’intensité de l’exercice.
• Artériopathie oblitérante des membres inférieurs : la marche est le traitement de première intention.
• Iinsuffisance cardiaque : tous les patients peuvent bénéficier d’un programme de réentraînement à l’effort quel que soit le degré de sévérité de la pathologie, grâce à un entraînement régulier et progressif. Idéalement, 30 minutes d’activité modérée 5 fois par semaine dans la dernière phase du programme, qui doit être poursuivi tout au long de la vie.
• Accident vasculaire cérébral (AVC) : réduire l’impact des séquelles neuromusculaires sur la qualité de vie du patient et prévenir les récidives en améliorant les capacités cardiorespiratoires et la force musculaire par une activité physique régulière intégrant la pratique des gestes journaliers.
• Bronchopneumopathie chronique obstructive (BPCO) :
Améliorer la qualité de vie et réduire les limitations fonctionnelles liées aux complications grâce à une activité physique régulière pérenne et variée (endurance, renforcement musculaire, natation, tai chi…).
• Asthme : réduire l’importance et la fréquence des crises par l’amélioration du VO2max, de l’endurance et de la capacité d’exercice par des activités d’endurance.
• Pathologies ostéo-articulaires : prévenir et/ou réduire le handicap et la douleur à travers des programmes d’activité physique adaptée variés et une pratique pérenne.
• Cancers : améliorer la qualité de vie et réduire les effets secondaires liés au cancer et aux traitements (déconditionnement musculaire, fatigue, intolérance au traitement…) ainsi que les récidives en proposant des programmes combinant endurance et renforcement musculaire.
• Dépression : prévenir les récidives et améliorer les symptômes dépressifs par des programmes combinant endurance et renforcement musculaire.
2. Adapter la prescription d’activité physique aux caractéristiques individuelles et médicales des patients
Les principales barrières à la pratique de l’activité physique sont en général liées à la pathologie elle-même (douleurs, fatigue, effets secondaires de certains traitements…).
L’enjeu principal est donc d’adapter la pratique à l’état de santé du patient, ainsi qu’à son traitement, ses capacités physiques, ses risques médicaux et ses ressources psychosociales.
Le groupe d’experts recommande :
• d’évaluer le niveau d’activité physique du patient par un entretien et/ou des tests simples (ex : test de marche de 6 minutes) visant à évaluer sa capacité et sa tolérance à l’exercice. Des tests plus complexes (ex : épreuve d’effort cardiorespiratoire) sont requis pour permettre une adaptation de la prescription en terme d’intensité de pratique et pour sécuriser la pratique des personnes les plus vulnérables notamment.
• de réaliser un suivi de l’évolution de la condition physique et de la tolérance à l’exercice pour adapter la prescription.
• d’individualiser la prescription d’activité physique en tenant compte du cadre et du type de pratique, de ses modalités (intensité, durée, fréquence), et surtout des préférences et attentes du patient qui conditionnent son intérêt et son plaisir dans la pratique de cette activité.
• de proposer des programmes personnalisés pour adapter individuellement l’activité physique en fonction de la pathologie, du patient et de son environnement afin de favoriser son adhésion et son observance, en particulier sur le long terme.
3. Organiser le parcours du patient afin de favoriser l’activité physique à toutes les étapes de la pathologie
Le projet de pratique d’activité physique doit intégrer l’ensemble de la trajectoire du patient. Il est recommandé de concevoir dès le début des soins la préparation et l’identification des éléments lui permettant la poursuite d’une pratique à domicile ou à proximité de son lieu de vie.
Il s’agit de permettre au patient de mobiliser immédiatement ses capacités et s’il le souhaite, d’adopter une position active dans son parcours de soins.
4. Associer à la prescription une démarche éducative pour favoriser l’engagement du patient dans un projet d’activité physique sur le long terme
L’enjeu principal est que le patient intègre l’activité physique dans sa vie quotidienne,
ce qui implique de favoriser dès le départ son engagement et le développement de son autonomie dans une pratique qui a du sens pour lui et qu’il pourra poursuivre sur le long terme.
La bonne intégration de l’activité physique au projet global de soins et d’éducation thérapeutique suppose une communication régulière entre l’intervenant en activité physique adaptée et les soignants.
Le groupe d’experts recommande d’articuler les programmes d’activité physique avec les programmes d’éducation thérapeutique et d’initier toute démarche par un bilan éducatif partagé qui invite le patient à identifier ses habitudes de vie, ses besoins, ses possibilités, ses envies, ses freins et ses leviers, la manière dont il aimerait pouvoir être aidé…
Il conviendra alors de fixer un objectif et d’identifier les moyens qu’il mobilisera pour l’atteindre. Des bilans de suivi permettront d’ajuster les objectifs et de renouveler les moyens tout au long de ce programme.
Pour les publics présentant des caractéristiques connues pour limiter ou compromettre l’adhésion et le maintien à long terme de l’activité physique (patients âgés, faible niveau socio-économique, précarité sociale…) et/ou n’ayant pas ou peu de vécu en matière d’activité physique, le groupe d’experts préconise un cycle éducatif de plusieurs mois en activité physique adaptée encadré par des professionnels.
L’enjeu est de permettre à ces patients d’expérimenter concrètement des activités physiques adaptées à leurs possibilités et à leurs besoins, d’en ressentir les effets,
de les vivre avec plaisir et de les reconnaître comme étant bénéfiques pour leur santé.
Dès que le patient en a les ressources, le groupe d’experts recommande ensuite de l’accompagner dans la construction d’un projet de pratique d’activité physique qui a du sens pour lui dans son parcours de soins et de vie.
Sources : Expertise collective de l’Inserm