Ai-je pris ou pas mes médicaments ?… Tout le monde a ses petites habitudes énervantes pour autrui. Il n’y a pas de mal à ça et en général une manie n’empêche pas de vivre. Personne ne vous reprochera de savoir parfaitement ranger votre bureau ou de bien vérifier que la maison est correctement verrouillée quand vous la quittez.  Mais il y a des personnes pour qui ces habitudes de vie quotidienne prennent des proportions telles et induisent, à terme, une telle souffrance qu’elles perturbent entièrement l’existence. Ces personnes sont victimes de ce qu’on appelle les troubles obsessionnels compulsifs.

 

C’est un malade du diabète qui ne sait plus s’il a avalé ses comprimés, fait sa piqure ou pas ?

C’est une femme respectable, plus très jeune, qui se trouve soulagée d’être enfin à la retraite : elle n’aura plus la hantise de laisser échapper des idées et mots orduriers qui lui semblent imprégner son esprit en permanence (et malgré elle bien sûr) et qu’elle redoute de révéler si elle ne surveille pas en permanence les paroles qui sortent de ses lèvres (maladie de Tourette). Si jamais elle allait sortir ces horreurs en public, des mots qu’une honnête femme ne devrait même pas connaître. Elle ne peut pas faire autrement. Ces idées, ces images, ces paroles qui la dégoûtent ne quittent jamais son esprit et lui semblent prêts à déborder à la première occasion. 

C’est une jeune femme qui sans même y penser ne peut pas s’empêcher de compter ses pas quand elle marche. Qu’elle fasse une balade, ses courses ou qu’elle prenne les couloirs du métro, elle compte compulsivement, elle sait toujours où elle en est et si elle fait un faux pas, elle se recale bien soigneusement sur son dernier chiffre. «Six cent douze, six cent treize, six cent quatorze…» Elle n’arrive pas à ce débarrasser de cette habitude obsédante.

C’est un petit garçon qui use chaque matin un tube entier de dentifrice. Il presse le tube pour jeter la première moitié, puis prend une petite dose du milieu, «bien propre», puis jette le reste, qui risquerait d’avoir été sali.

•C’est un homme qui ne supporte pas de manger tant que son verre, son assiette, ses couverts ne sont pas impeccablement alignés. Il s’y reprend aussi souvent et longtemps que nécessaire pour que la disposition de son couvert soit à son idée.

C’est un étudiant qui a été obligé d’interrompre ses études tant le réglage de sa vie quotidienne lui prenait de temps. En effet, quand on recompte tous les matins les carreaux de céramique de sa salle de bains, quand on vérifie trente fois que les robinets sont fermés et que l’électricité est éteinte, quand on rouvre tous les tiroirs dans la crainte que les chaussettes ne soient pas bien alignées, il ne reste plus suffisamment de temps pour se rendre aux cours.

 


> Les principales obsessions

• Obsession de la contamination, de la saleté, des microbes, recherche permanente de la propreté, dégoût pour les saletés et les déchets corporels, peur d’être contaminé, peur des microbes.
• Obsession de l’agressivité, peur de se mettre à agresser autrui, à l’insulter, de faire mal (aux autres ou à soi). Curieusement, ces personnes qui ont si peur de se mettre en état d’attaquer leur prochain ne passent jamais à l’acte, elles sont simplement victimes de pensées intrusives.
• Obsession d’accumulation, en général d’objets sans valeur (vieux journaux, capsules de bouteilles, déchets, vieilles lettres, collectionneurs de la broutille…).
• Obsession de l’ordre, de la symétrie, du rangement. Tout doit être impeccablement aligné pour que la personne se sente sécurisée. On met dans la même catégorie l’obsession pour l’exactitude.
• La procrastination, ou impossibilité de prendre une décision ou de finir un travail ou de passer à l’acte après avoir pris une décision de principe, ou impossibilité de réaliser un désir.
• Les ruminations, ou pensées tournant en rond et intrusives (impossible de s’en débarrasser, de les faire partir), pensées souvent culpabilisantes ou ayant trait à l’horreur, à des choses répugnantes.


Des comportements handicapants au quotidien

Toutes ces personnes sont victimes de ce qu’on appelle les troubles obsessionnels et/ou compulsifs, dits également TOC. Ce sont des troubles qui dans certains cas peuvent passer quasiment inaperçus mais qui handicapent profondément la vie des personnes qui se trouvent dans ce cas. Ces troubles perturbent chaque instant de la vie et ne se laissent jamais oublier. C’est une maladie qui se déclenche avant 25 ans, et en moyenne vers 12 ans.

 

On considère que les obsessions ne recoupent pas toujours exactement les compulsions.

Les obsessions dont des pensées ou des images répétitives, persistantes, intrusives, inadéquates, qui induisent une détresse (ce qu’on appelait jadis les «idées fixes»), et ce ne sont pas des problèmes de vie quotidienne. La personne tente d’ignorer, de refouler ou de juguler ces pensées, tout en sachant que ces obsessions ne sont pas dues à des circonstances extérieures, mais sont produites par ses propres pensées.

Les compulsions sont des comportements répétitifs que la personne se sent obligée d’accomplir en observant des règles personnelles auxquelles elle ne peut déroger. Ce comportement répétitif, ces mises en ordre, ces vérifications, visent avant tout une chose : réduire la détresse ou empêcher une catastrophe, un événement redouté.

Les troubles obsessionnels et les troubles compulsifs peuvent s’additionner, rendant la vie du malade comme de la famille extrêmement pénible au quotidien. Ces malades, le plus souvent (ce n’est pas le cas des enfants), savent parfaitement reconnaître que leurs obsessions ou leurs compulsions sont excessives, oui mais voilà, ils ne peuvent vraiment pas s’empêcher d’agir comme ils le font et la situation les remplit de détresse, et d’autant plus qu’on essaie de réduire l’expression de ces obsessions ou des ces compulsions. La souffrance et la détresse des victimes de TOC sont réelles. De plus, les TOC sont des dévoreurs de temps tels qu’il ne reste quasiment plus de moments normaux pour une vie ordinaire.

On considère qu’il y a TOC quand ces pensées parasites ou ces comportements ritualisés prennent plus d’une heure par jour et interfèrent avec les occupations normales d’une vie :
le travail, les loisirs, les activités sociales, la vie familiale, les relations humaines. De plus, d’autres symptômes comme la dépression, l’anorexie, les attaques de panique ou les tics sont souvent associés aux TOC. Quelquefois, l’alcool permet au malade de calmer son anxiété maladive, mais il ajoute alors un autre trouble à ceux dont il souffre déjà. On voit aussi des comportements comme l’arrachage de cheveux (de sourcils, de cils), la peur hypocondriaque de maladies comme le sida ou le cancer, la kleptomanie, la dysmorphophobie (horreur d’une partie de son propre corps, considérée comme imparfaite). Très souvent, les comportements obsessionnels et/ou compulsifs sont augmentés en cas de stress. Il peut aussi de trouver une corrélation avec les saisons avec augmentation des troubles au printemps ou en automne. On voit que la vie d’une personne souffrant de troubles obsessionnels compulsifs est un perpétuel calvaire, d’autant plus qu’ils se rendent parfaitement compte de leur état et des aberrations de leur comportement, mais ils ne peuvent faire autrement, quelques efforts qu’ils fassent en ce sens.

 


> Les principales compulsions

Les compulsions ont leur corollaire : les rituels, habitudes et manières de faire qui se répètent ad libitum dans l’espoir de calmer l’anxiété du sujet ou d’écarter l’éventualité d’un événement redouté.
• Lavage (ou nettoyage), avec ses rites de lavage de mains, ses soins d’hygiène exacerbés, dans le but de supprimer contamination et microbes, ou le contact avec l’élément considéré comme contaminant.
• Vérification : le sujet vérifie dans des comportements ritualisés qu’il a bien fermé l’eau ou l’électricité, il vérifie les appareils ménagers dans le but de ne causer aucun dommage à lui-même ou à des tiers.
• Répétition : répétition du même geste ou du même comportement. Relecture ou réécriture du même texte. Geste de se rasseoir et de se relever.
• Comptage : de tout ce qui peut se compter, ses pas, les pavés d’un carrelage, les crayons d’une boîte. On compte et on recommence. On peut aussi faire des opérations, du calcul mental.
• Collection : le sujet collecte et garde des objets inutiles et sans valeur. Il ne s’agit évidemment pas du genre de collection que fait un amateur. Ici, la collection est compulsive et pathologique.
• Rangement : mise en ordre ou en symétrie de tous les objets de la vie quotidienne, avec une exactitude maladive.
• Dressage de listes de toute sorte.
• Ritualisation des habitudes alimentaires.
• Comportements superstitieux.


Les thérapies

Origine biologique et neurochimique ? Origine psychologique et comportementale ? La question semble ne pas être tranchée. Des techniques d’imagerie cérébrale montrent les zones du cerveau impliquées dans ces troubles : les lobes frontaux et les ganglions de la base. Mais les spécialistes ont réalisé qu’ils connaissaient encore bien mal les tenants et aboutissants de ces troubles. Il existe heureusement des moyens d’atténuer la maladie, voire d’en venir à bout, quelquefois après des tâtonnements, car cette maladie multiforme et « déboussolante » nécessite de la part du malade comme de sa famille et de son médecin traitant beaucoup de bonne volonté et de patience. 

 

Les antidépresseurs

Les médications sont efficaces dans un certain nombre de cas. On soigne les malades de TOC avec des antidépresseurs sérotoninergiques (qui ont une action sur la sérotonine du cerveau). Il faut savoir que le résultat n’est pas immédiat et qu’il faut compter jusqu’à deux mois entre la première prise du médicament et un résultat. Évidemment, il ne faut jamais arrêter le traitement de son propre chef sous prétexte que les résultats ne sont pas immédiatement visibles ou peuvent entraîner des effets secondaires (mineurs et qui peuvent être corrigés).

 

La thérapie cognitivo-comportementale

C’est une thérapie qui tente de modifier les comportements et les croyances du malade en exposant aux situations qui entraînent le trouble. Petit à petit, le malade s’habitue à considérer avec plus de distance la situation anxiogène. Cette désensibilisation est très progressive : on commence par mettre le patient en situation seulement en imagination avant de passer à des situations réelles modérées, puis de plus en plus intenses, tandis que le thérapeute accompagne les réactions du malade et lui enseigne comment faire face à cette situation. De la même façon, le thérapeute enseigne à son patient comment résister aux comportements ritualisés.

Le but : modifier les croyances et l’imagerie mentale, ces croyances qui chez les malades du TOC sont souvent liées à une idée de culpabilité. Dès que les défenses du malade tombent, dès qu’il se rend compte que ses craintes sont injustifiées et que ses comportements et croyances sont irrationnels, la situation s’améliore. Néanmoins, il faut savoir qu’une telle thérapie est un travail de longue haleine.

 

L’hypnose

L’hypnose dite Éricksonienne n’a rien à voir avec les spectacles de cirque. C’est une thérapie «où  les mots employés vont évoquer des résonances chez le sujet et mettre en route des chaînes associatives débouchant sur de nouvelles solutions psychologiques». (Hoareau)

C’est une approche qui s’adresse à l’inconscient du patient, inconscient qui recèle des possibilités inattendues et peut mener enfin à l’autonomie. Ce type de thérapie induit un soulagement certain aux malades de TOC, c’est un outil utilisable parmi d’autres, et qui permet de réduire l’anxiété du sujet et de lui faire considérer d’une façon différente ses croyances et ses comportements. Mais il faut bien savoir qu’il ne s’agit pas d’une panacée dans ce type de trouble. C’est un adjuvant intéressant néanmoins dans le cadre d’une démarche thérapeutique globale.

 


> Des chiffres

• 2 % de la population environ sont touchées par les TOC, soit environ un million de personnes atteintes en France.
• 10% de risques si un parent ou un frère ou sœur est atteint, ce qui laisse penser à une piste génétique.
• 65 % d’amélioration de la situation après traitement.
• 20 % de guérison.


Aider un malade du TOC

Comment vivre au quotidien avec un malade qui perd un temps infini à répéter sans cesse des gestes qui ne mènent à rien d’autre qu’à le rassurer, et si mal encore ? Comment ne pas soupirer d’agacement quand la table n’est jamais mise dans les règles, ou quand les collections d’objets inutiles s’accumulent ? D’abord, ne pas se décourager : il existe à la fois des informations et des thérapies. Dès que possible, dès que les troubles s’installent, il est évident qu’il est important d’avoir un diagnostic. Mais ensuite ?

Soutien et écoute sont primordiaux, ne pas juger est essentiel, mais il ne faut pas entrer dans le jeu des répétitions avec le malade. C’est lui qui est rassuré par les rituels, pas sa famille. Par ailleurs, le forcer à abandonner ses rituels est inutile et anxiogène. Mais on peut l’encourager à réduire progressivement l’impact de ces rites et le féliciter à chaque victoire, aussi petite soit-elle. Rassurer constamment le malade n’est pas une bonne politique. Il faut le rassurer une fois, puis ensuite lui dire :
«Je te l’ai déjà dit, je ne te le répéterai pas.» Ainsi, le malade sait qu’on est avec lui, mais on n’entre pas dans son processus infini de répétitions (de paroles, d’obsessions ou de compulsions).

Évidemment, quand un malade vous demande, pitoyable, de bien vouloir vérifier avec lui ceci ou cela, vous le ferez, par affection, par lassitude ou pour rassurer une fois de plus. Une fois n’est pas coutume. «Marcher» à tous les coups dans ses demandes, c’est subir un envahissement perpétuel et total de votre vie. En revanche, toute amélioration de la situation, toute victoire sur le mal doit être complimentée. Et puis il vous reste à avoir beaucoup de patience et de souplesse, car les thérapies sont quelquefois longues à montrer leur efficacité et le caractère de la personne qui souffre de TOC peut subir des sautes assez imprévisibles. Signifiez clairement, chaque fois que vous en ressentez le besoin, votre désir d’être seul, ou de vous reposer, bref, de souffler un peu. Le malade, déjà très culpabilisé et infériorisé par son état, ne doit pas être brusqué avec hargne (ses troubles augmenteraient avec son anxiété), mais on peut parfaitement lui expliquer qu’on ne veut pas se laisser submerger. Reste qu’il est nécessaire aux familles de personnes souffrant de TOC.

 


> Les enfants souffrent aussi de Toc

Clément ne se couche jamais avant deux heures du matin : ses rituels de coucher sont tellement longs à vérifier et il recommence si souvent du début, en demandant à sa mère de répéter les mêmes paroles, qu’il n’arrive qu’avec la plus grande difficulté à l’étape ultime de la mise au lit. «Ouf», peuvent enfin se dire les parents. 

Que faire au quotidien, quand on a un enfant qui souffre (oui, avant tout, il souffre au sens propre) de TOC ? D’abord, savoir que les menaces de punition « s’il n’arrête pas son cirque et ses caprices » sont tout à fait inopérantes. L’enfant ne fait pas exprès d’être comme ça, bien au contraire. C’est sûr qu’il faut à la fois le rassurer et ne pas entrer dans l’engrenage des répétitions, bref, entrer dans son jeu. Et ne pas se décourager, car l’évolution de l’enfant est fonction du moral des parents : si les parents flanchent, l’enfant retombe. Il faut donc faire front, ensemble, contre l’ennemi commun, le «monstre TOC».

Si l’enfant est rassuré quand vous comptez avec lui les barreaux de son lit, acceptez en disant : «Juste une fois.» Il connaît la règle du jeu : vous acceptez une fois, en général, l’enfant arrive à s’en contenter, ou disons à se sentir suffisamment rassuré.

• Reconnaissez sa souffrance.

• Nommez son mal : «C’est ton TOC qui te force à faire ça.»

• Montrez que vous ne voulez pas aider la maladie en acceptant d’entrer dans ses rituels.

• Montrez-lui les alternatives : «Nous allons essayer autre chose.»

Mais sachez qu’il faudra parfois céder, ou disons plutôt, montrer de la souplesse, vous adapter aux circonstances : si l’enfant va subir un stress, un devoir à l’école par exemple, ne vous faites pas d’illusions, il faudra en passer par un rituel plus marqué.

• Ne vous alarmez pas des dérapages après un progrès : les progrès ne sont jamais linéaires. Souplesse là encore.

• Ne culpabilisez pas. Si votre enfant souffre de ces troubles, ce n’est pas de votre faute.